labas

Sortie nationale le 25 octobre 2006

Là-bas

Chantal Akerman

2005

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78min

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France

Visa d'exploitation n°116.326

Quand X.C. m’a proposé de faire un film sur Israël. J’ai tout de suite eu l’impression que c’était une mauvaise idée. Une idée impossible même. Presque paralysante. Presque écœurante. On n’y comprend rien, il m’a dit. C’est de toi qu’on attend quelque chose. Moi non, je ne veux pas. Il n’y a rien à attendre de moi.
Je disais à Xavier ma résistance et seulement ma résistance. Mes scrupules. J’avais peur de me brûler les doigts et la raison, peur des écueils de ma subjectivité, et sur ce sujet-là, elle me semblait dangereuse, confuse. Et la neutralité, ça n’existe pas. Ce ne pouvait être que factice. Mais le ver était dans le fruit et je suis partie là-bas.
J’ai loué un appartement meublé au quatrième étage et j’ai commencé à prendre des notes, Je prenais des notes et je pensais à un futur film. Je me demandais pourquoi la mère d’Amos Os s’était-elle suicidée un jour de pluie à Tel Aviv et pourquoi à peu près à la même époque, ma tante Ruth s’est suicidée un jour de faible soleil à Bruxelles. Et pourquoi on se suicidait partout, là-bas comme ici.
Alors là-bas, le là-bas de chacun de nous, un endroit auquel on rêve, un là-bas qui serait un Paradis, n’existerait-il pas.
Serait-on partout en exil?
Et je regardais les gens en face, cachée de fait par des stores aux fines lamelles de paille mais qui me permettaient de voir, de regarder le monde en face de moi. Un jour, j’ai pris la caméra en main et que je me suis placée quelque part et là tout d’un coup, il y a eu un cadre, un plan. Et je me suis dit ce cadre est formidable. Il n’y a plus qu’à attendre et à laisser les choses arriver. Je ne bougerai pas et tout ce qui doit se passer, viendra se placer dans mon cadre, sans que j’intervienne. Et ce cadre, c’est comme une scène. J’étais fascinée par cet homme, l’homme aux plantes, ce qu’il faisait avec ses plantes. Et puis j’ai vu la femme à la cigarette qui me faisait penser à Jeanne Dielman.
Je restais là enfermée dans l’appartement comme quand j’étais enfant. Un jour je suis sortie mais à quelques pas de là, là où il y avait la mer. Et là je me suis demandée si cette femme que je voyais de dos regarder au loin regardait également là-bas, vers un ailleurs possible.
Un là-bas possible, un paradis possible.
À la fin du montage du film, je me suis dit que c’était un film sur la relation de quelqu’un de la diaspora élevé dans un milieu juif traditionaliste, de sa relation à Israël, un Israël imaginaire sans doute.
Et qui se demandait si ce n’était pas encore un fois une terre d’exil Et pourtant pas tout à fait.
Et pourtant parfois pas du tout.
Un film à la fois dans le monde et coupé du monde. Un film où apparaît en pointillé le passé d’une famille juive. Et de ce que c’est -mais à peine suggéré- ce que c’est que de ne pas appartenir. Et l’illusion d’une possible appartenance.
Peut-on s’enraciner dans l’espace, le temps ?
Que peut-on percevoir d’Israël sans tomber dans la dichotomie.
Comment vivre après la tourmente ?
Y a-t-il des images possibles ?
Des images directes ? Ou doivent-elles passer par un écran ?
Quel écran ? Comment ? Voilà le sujet du film.
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Là-bas

Chantal Akerman